En montagne, la limite supérieure de la forêt est appelée par les forestiers la zone de combat. On en trouvera de très belles évocations et illustrations chez les têtards arboricoles et autres amoureux des vieilles souches. C'est le domaine de ces arbres étonnants, souvent vénérables et toujours obstinés, survivants miraculeux du gel, des avalanches, de la dent des brebis, des canicules, de la foudre et des bourrasques. Des mélèzes ou des pins, noueux de partout, sans un pouce de droit fil, pas une branche sans cicatrice, les racines veinant le sol, agrippées à la roche, mises à nu par l'érosion. Comme leurs cousins d'Armorique chers au grand-père Alain Le Goff et que nous avons déjà évoqués ici, ce sont des travailleurs de l'extrême, des combattants de première ligne.
Pour bien apprécier les lieux, il faut bien sûr y grimper par un sentier battu par des siècles de pas de troupeaux, de bergers et de randonneurs. Un sentier comme ces arbres, une corde noueuse avec ses torons qui s'enracinent dans la vallée à un bout et se déploient à l'autre en mille sentes éphémères aux abords des crêtes. Et sous l'un de ces arbres le marcheur fera probablement halte, car leurs ombres sont les dernières à la montée, et les premières à la descente. Cent pas plus haut s'ouvrent les vallons écrasés de soleil, jusqu'au bord minéral du ciel balayé par tous les vents qu'aucune frondaison ne retiendra jamais.
Le marcheur, comme tous ceux qui ont tracé le sentier et continuent à le faire vivre, tendu au matin vers les crêtes, ou revenant au soir vers le repos des vallées, participe comme la sève de l'arbre à la circulation qui noue le ciel à la terre. Et le sentier et l'arbre ne restent vivants que par ce qui les traverse au rythme des jours et des saisons. La vie transhume dans l'arbre, et le marcheur est la sève du sentier. D'ailleurs il ne manquera pas de faire tout au long de son parcours quelques gestes d'entretien, écartant une branche tombée ou recalant une pierre déchaussée. Si la circulation s'arrête, au fil des ans l'arbre se dessèche peu à peu et finit couché par la tempête, mangé par la terre, et le sentier disparaît sous la végétation et les chutes de pierre. Ainsi va la vie dans la zone de combat.
Nos mots sont de cette même texture que l'arbre et le sentier. Eux aussi ne vivent que par la circulation du sens, de la vallée obscure des origines de nos langues jusqu'au bord du ciel hanté par les poètes et les philosophes. Ils sont les marcheurs, les bergers et la sève du langage, poussant obstinément dans la zone de combat du texte leurs mots noueux et retors et leurs troupeaux d'intraduisibles.
Pin cembro (arolle) dans la zone de combat
Source : Wikimedia Commons
Source : Wikimedia Commons
Le marcheur, comme tous ceux qui ont tracé le sentier et continuent à le faire vivre, tendu au matin vers les crêtes, ou revenant au soir vers le repos des vallées, participe comme la sève de l'arbre à la circulation qui noue le ciel à la terre. Et le sentier et l'arbre ne restent vivants que par ce qui les traverse au rythme des jours et des saisons. La vie transhume dans l'arbre, et le marcheur est la sève du sentier. D'ailleurs il ne manquera pas de faire tout au long de son parcours quelques gestes d'entretien, écartant une branche tombée ou recalant une pierre déchaussée. Si la circulation s'arrête, au fil des ans l'arbre se dessèche peu à peu et finit couché par la tempête, mangé par la terre, et le sentier disparaît sous la végétation et les chutes de pierre. Ainsi va la vie dans la zone de combat.
Nos mots sont de cette même texture que l'arbre et le sentier. Eux aussi ne vivent que par la circulation du sens, de la vallée obscure des origines de nos langues jusqu'au bord du ciel hanté par les poètes et les philosophes. Ils sont les marcheurs, les bergers et la sève du langage, poussant obstinément dans la zone de combat du texte leurs mots noueux et retors et leurs troupeaux d'intraduisibles.
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