La fable d'aujourd'hui est particulièrement dédiée à mes amis et anciens bons collègues ontologistes, qui j'espère ne m'en voudront pas trop de malmener un peu le tout premier d'entre eux. Elle est illustrée par des barbouillages que j'ai quelques scrupules à montrer après vous avoir parlé de Shitao dans le billet précédent, mais pour ma défense ces illustrations sont présentes ici à des fins exclusivement pédagogiques, dans la tradition de celles de Kipling dans les Histoires comme çà dont je ne me lasserai jamais. Heureusement instruit par Saint-Exupéry, autre illustrateur amateur fameux d'histoires pour enfants, et ses mésaventures avec les dessins de boas ouverts et fermés, ayant quelques adultes parmi mes lecteurs je sais qu'il vaut mieux tout leur expliquer. Donc, comme l'auteur du Petit Prince je pense prudent de corriger ma dédicace.
A mes amis ontologistes lorsqu'ils étaient petits enfantsAprès ces précautions oratoires, venons-en à l'histoire proprement dite. Comme nous l'avons vu dans le billet précédent, la séparation du monde commence par un unique trait de pinceau. Le dessin numéro 1 ci-dessous représente la scène capturée en direct de sa fenêtre par le premier ontologiste.
Premier jour
Les enfants, comme les adultes un peu cultivés et imaginatifs reconnaîtront avec un minimum de bonne volonté en haut le Ciel et en bas la Terre, séparés par l'unique trait de pinceau et la parole du créateur (qu'on n'entend pas parce que les images parlantes n'avaient pas encore été inventées). On voit qu'au premier jour la Terre était orange et le Ciel était bleu, c'était bien avant que Paul Eluard ne vienne s'en mêler.
Le premier ontologiste, émerveillé par cette vision, illuminé par la simplicité et la puissance du Logos qui se manifestait ainsi sous ses yeux, se mit aussitôt à parler tous les langages du Web sémantique. Il passa le deuxième jour à travailler pour décrire au format OWL la totalité du monde, la valida avec un raisonneur, vit que cela était bon, l'appela version 1.0 et dormit en paix jusqu'au matin du troisième jour. [1]
Il ouvrit grand sa fenêtre pour profiter du premier vrai matin, et vit à peu près ce que j'ai essayé de représenter dans le dessin numéro 2. Le monde commençait à se remplir de la rumeur des vagues qui se brisaient sur les rivages que le pinceau du créateur venaient juste de tracer, et du bruissement des arbres qui déjà travaillaient à renouer le Ciel avec la Terre, pour éviter qu'il ne s'envole, arraché par les vents qui maintenant soufflaient de la mer. [2]
Le premier ontologiste, émerveillé par cette vision, illuminé par la simplicité et la puissance du Logos qui se manifestait ainsi sous ses yeux, se mit aussitôt à parler tous les langages du Web sémantique. Il passa le deuxième jour à travailler pour décrire au format OWL la totalité du monde, la valida avec un raisonneur, vit que cela était bon, l'appela version 1.0 et dormit en paix jusqu'au matin du troisième jour. [1]
Il ouvrit grand sa fenêtre pour profiter du premier vrai matin, et vit à peu près ce que j'ai essayé de représenter dans le dessin numéro 2. Le monde commençait à se remplir de la rumeur des vagues qui se brisaient sur les rivages que le pinceau du créateur venaient juste de tracer, et du bruissement des arbres qui déjà travaillaient à renouer le Ciel avec la Terre, pour éviter qu'il ne s'envole, arraché par les vents qui maintenant soufflaient de la mer. [2]
Troisième jour
Il se frotta les yeux et recula un peu jusqu'à ne plus voir dans le cadre de sa fenêtre que ce qui est délimité par le rectangle au centre du dessin. Rassuré mais un peu perturbé quand même, il referma la fenêtre pour mieux se concentrer et prépara un grand pot de café. Il se disait que sa représentation était encore trop compliquée. Il venait d'inventer le rasoir d'Okham et se répétait en boucle et en latin Pluralitas non est ponenda sine necessitate, trouvant étrange que le créateur ait eu besoin de quatre classes, une propriété et deux individus (ce qui fait sept entités) pour simplement couper le monde en deux, même si sept est un nombre magique. Et il s'inquiétait vaguement ce que pourraient être les choses susceptibles de peupler la Terre et le Ciel, et qu'on ne pouvait distinguer que par la couleur, même si le modèle n'exigeait pas que ces classes soient explicitement instanciées. Non, vraiment son ontologie version 1.0 ne rendait pas compte de la simplicité extrême du premier trait de pinceau.
Au septième jour, après bien des nuits sans sommeil et de multiples tentatives de représentation dont malheureusement on a perdu toute trace, il aboutit à la version 2.0. Il avait enfin compris que Terre et Orange n'était que des noms différents pour la même entité, et de même pour Ciel et Bleu, et que finalement il suffisait d'une classe Chose avec deux instances distinctes, ce qui fait trois entités, un nombre aussi sacré que sept.
Content du résultat, il se dit qu'il méritait un peu de repos et rouvrit enfin sa fenêtre. La Terre était couverte de prairies et de forêts grouillant de dix mille espèces d'animaux et de bestioles, les branches des arbres comme autant de traits de pinceaux coloraient le Ciel qu'ils avaient réussi à raccrocher à la Terre dans toutes les nuances de vert, et volaient en tous sens des oiseaux multicolores. Un peu étourdi par toute cette agitation, il sortit marcher un peu, se disant que le Diable avait semé la confusion dans la perfection initiale de la Création. Au milieu du jardin, sous un arbre magnifique, il rencontra une femme qui lui tendit en souriant un fruit bleu comme une orange ...
Notes
[1] Grâce à l'infatigable +Kingsley Idehen nous avons retrouvé le fichier original caché dans le Linked Open Data Cloud des deux versions de cette ontologie. Ce sont donc les plus anciens triplets connus à ce jour, qui révèlent au passage que le premier ontologiste parlait français en Turtle (et vice-versa). Pour les curieux qui parlent OWL, elles sont recopiées ci-dessous. Pour être complet, signalons que +Pierre-Yves Vandenbussche et +Ghislain Atemezing ont refusé d'inclure cette ontologie dans la base de données Linked Open Vocabularies malgré son importance historique manifeste, sous prétexte que son URI n'est pas déréférençable, qu'elle ne contient aucune métadonnée, n'est liée à aucun autre vocabulaire du Web sémantique, ne contient aucun libellé en langage naturel, ne semble plus maintenue, et qu'enfin son auteur est injoignable.
[2] L'histoire des arbres qui travaillent à nouer le ciel et la terre, dans un dur combat contre le vent mauvais qui veut les séparer, je l'emprunte à Pierre Jakez Hélias qui la met, magnifiquement racontée, dans la bouche de son grand-père Alain le Goff (in Le cheval d'orgueil, pp 94-95).
Ontologies OWL du Ciel bleu et de la Terre orange.
Version 1.0 (premier jour)
@prefix owl: <http://www.w3.org/2002/07/owl#> .
@prefix ob: <http://onto.org/ob#> .
ob:Couleur
a owl:Class ;
owl:equivalentClass [ a owl:Class ;
owl:oneOf ( ob:Orange ob:Bleu ) ] .
ob:aPourCouleur
a owl:ObjectProperty .
ob:Terre
a owl:Class ;
owl:equivalentClass [ a owl:Restriction ;
owl:onProperty ob:aPourCouleur ;
owl:hasValue ob:Orange ] .
ob:Ciel
a owl:Class ;
owl:equivalentClass [ a owl:Restriction ;
owl:onProperty ob:aPourCouleur ;
owl:hasValue ob:Bleu ] .
owl:Thing owl:disjointUnionOf ( ob:Ciel ob:Couleur ob:Terre ) .
Version 2.0 (septième jour)
@prefix owl: <http://www.w3.org/2002/07/owl#> .
@prefix ob: <http://onto.org/ob#> .
owl:Thing
a owl:Class ;
owl:equivalentClass [ a owl:Class ;
owl:oneOf ( ob:Ciel ob:Terre ) ] .
ob:Terre owl:sameAs ob:Orange ;
owl:different From ob:Ciel .
ob:Ciel owl:sameAs ob:Bleu .
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