Les bibliothèques sont des rivages. On y perçoit la rumeur lointaine de l'océan du monde, et la houle vient y échouer des rangées de livres. Il faut marcher lentement au long de cette laisse de haute mer, le regard prêt à se laisser séduire par l'éclat particulier d'un galet ou la forme tortueuse d'un bois flotté, ou tel assemblage improbable d'épaves, filets de pêche, cordages, bouteilles et autres Friendy Floatees. Un bon lecteur est un coureur de grève, ouvert à l'occasion, l'imagination en éveil.
La bibliothèque municipale de ma commune est située dans une crique agréable et bien abritée inaugurée il y a un peu plus de deux ans dans le cadre de la rénovation de l'école élémentaire. Les courants favorables y ont échoué déjà plus de sept mille ouvrages, chiffre remarquable si on le compare à celui des lecteurs potentiels d'un bourg d'un peu plus de deux mille âmes, chef-lieu d'un canton qui en compte un peu plus de huit mille dispersées sur seize communes de montagne, couvrant une superficie égale à huit fois celle de Paris.
Parmi mes découvertes de ces derniers mois, voici trois romans que je recommande comme autant de variations sur le thème de l'échouage ou plutôt de l'échouement heureux, qui ne sont parvenus sur mes rivages qu'en traduction française.
Les reflets d'argent, de Susan Fletcher, est sans doute le mieux écrit des trois. Tout commence par l'échouement - au sens littéral - d'un homme mystérieux sur les rivages d'une île perdue quelque part au large des Îles Britanniques. Ce naufragé va incarner malgré lui d'abord, puis de bon gré, une vieille légende locale et contribuer à réparer beaucoup de choses chez ces insulaires tous plus ou moins cabossés de la vie. On est accroché dès les premières lignes et on quitte ce livre avec un goût de sel aux lèvres et le cœur rafraîchi.
La bibliothèque municipale de ma commune est située dans une crique agréable et bien abritée inaugurée il y a un peu plus de deux ans dans le cadre de la rénovation de l'école élémentaire. Les courants favorables y ont échoué déjà plus de sept mille ouvrages, chiffre remarquable si on le compare à celui des lecteurs potentiels d'un bourg d'un peu plus de deux mille âmes, chef-lieu d'un canton qui en compte un peu plus de huit mille dispersées sur seize communes de montagne, couvrant une superficie égale à huit fois celle de Paris.
Parmi mes découvertes de ces derniers mois, voici trois romans que je recommande comme autant de variations sur le thème de l'échouage ou plutôt de l'échouement heureux, qui ne sont parvenus sur mes rivages qu'en traduction française.
Les reflets d'argent, de Susan Fletcher, est sans doute le mieux écrit des trois. Tout commence par l'échouement - au sens littéral - d'un homme mystérieux sur les rivages d'une île perdue quelque part au large des Îles Britanniques. Ce naufragé va incarner malgré lui d'abord, puis de bon gré, une vieille légende locale et contribuer à réparer beaucoup de choses chez ces insulaires tous plus ou moins cabossés de la vie. On est accroché dès les premières lignes et on quitte ce livre avec un goût de sel aux lèvres et le cœur rafraîchi.
Le secret de la manufacture des chaussettes inusables, de Annie Barrows, qui nous mène de l'autre côté de l'Atlantique, semble de prime abord plus léger que le précédent. Il faut dire que la traduction laisse à désirer, il semble qu'il y ait manqué une relecture finale. Mais on se laisse prendre assez vite, et le récit gagne en profondeur au fil des pages. Ici c'est une naufragée pas tout à fait volontaire, en rupture de sa bonne famille de sénateurs, qui échoue au fond de la Virginie Occidentale en 1938 pour écrire l'histoire d'une petite ville sans histoire. Elle débarque chez une famille ruinée après l'incendie de son usine de chaussettes. Ce qui devait être un pensum horriblement ennuyeux se transforme en une improbable entreprise de ravaudage des cœurs, et tout finit presque bien.
Dans La bibliothèque des coeurs cabossés, de Katarina Bivald, il s'agit bien d'échouage, donc tout à fait volontaire cette fois. Sara, qui ne connait et n'aime que les livres, a quitté sa Suède natale où la librairie qui l'emploie depuis dix ans vient de fermer, pour échouer à Broken Wheel, milieu absolu du nulle part de l'Iowa, une ville quasi-fantôme. Le pourquoi elle est arrivée là et le comment elle va y rester en y ouvrant une librairie sont tout aussi improbables l'un que l'autre, mais la fable est délicieusement racontée, faussement légère, et ravira tous les amoureux des livres. Et là encore, c'est la naufragée qui va sauver les insulaires de Broken Wheel, perdus dans leur île poussiéreuse au milieu d'un océan de champs de maïs. Et là encore, c'est un Happy End qu'on pressent dès la première page.
Trois histoires qui commencent par un naufrage mais dont en sort avec le sourire et l'envie de croire à l'humanité, malgré tout. Par les temps qui courent, c'est toujours bon à prendre. Mais comment ces trois auteures, à peu près de la même génération (nées entre 1962 et 1983), en sont-elles venues à écrire et publier, quasi-simultanément, et dans trois pays et deux langues différentes, ces variantes d'une même histoire, dans le même esprit de fausse légèreté et de vraie humanité? Faut-il croire ici à quelque champ morphogénétique? Ou bien est-ce simplement ma façon de les lire qui les a ainsi tissées ensemble, comme on aligne les étoiles pour en faire des constellations, ou les épaves disparates pour écrire une histoire sur le sable?
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